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Qatar 2022 : «C’est juste de l’hypocrisie», la contre-leçon de morale de Gianni Infantino à l’Europe

Lors de la conférence de presse d’ouverture de la Coupe du monde au Qatar, après des mois de polémique, le président de la FIFA renvoie le monde occidental à son histoire «des 3000 dernières années» et à ses contradictions actuelles

Le regard est soutenu, le ton est grave, le débit est lent, les mots sont pesés. L’atmosphère de cette veille de Coupe du monde de football est lourde, et Gianni Infantino a décidé de ne pas feindre le contraire. Rare à l’interview, absent des nombreuses enquêtes qui ont récemment documenté les polémiques entourant le tournoi, le président de la FIFA s’est longuement adressé au monde occidental lors de la conférence de presse d’ouverture du tournoi, dénonçant ses «leçons de morale».

Au final, Gianni Infantino a annoncé la création d’un fonds pour les travailleurs migrants, qui sera «probablement un pourcentage des bénéfices du Mondial», et surtout «qui sera ouvert à tous ceux qui veulent y investir». Il cède là à une injonction d’Amnesty International tout en plaçant ses contempteurs face à leurs responsabilités. Ce fut la mécanique de tout son discours: puisque vous avez l’air tellement préoccupés par ce qu’il se passe ici, nous allons vous donner la possibilité de vous engager pour faire changer les choses. Tout en sous-entendant que personne n’allait le faire, et que les masques allaient tomber.

«Je me sens gay, je me sens handicapé, je me sens travailleur migrant»

En confirmant que l’Organisation internationale du travail allait pérenniser sa représentation à Doha après la Coupe du monde, ce que le représentant du l’OIT à Doha, Max Tuñon, avait annoncé début octobre dans Le Temps , Gianni Infantino a précisé que «la FIFA reviendra contrôler que cela se passe bien, quand [les journalistes] seront déjà partis».

Tous ceux qui ont suivi cette conférence de presse ont compris qu’elle allait rester dans les annales lorsque Gianni Infantino prononça très lentement, en ménageant ses silences, la phrase suivante: «Aujourd’hui, je me sens Qatari; je me sens Arabe; je me sens Africain; je me sens gay; je me sens handicapé; je me sens travailleur migrant.» Un peu plus loin, il s’est aussi rangé du côté des discriminés, se rappelant, du temps où il n’était pas encore chauve, «avoir été harcelé parce qu[‘il] avait les cheveux roux».

Comme ses parents à leur arrivée en Valais

De sa longue anaphore, seule la dernière assertion («je me sens travailleur migrant») est littéralement correcte et Gianni Infantino, qui réside principalement au Qatar depuis plus d’un an, a enchaîné sur un morceau de son histoire personnelle, comparant la situation des ouvriers des chantiers qataris à celle de ses parents italiens venus s’installer en Valais dans les années soixante et qui ont bossé dur, dans des conditions difficiles. «Pas au Qatar mais en Suisse», a-t-il souligné, se souvenant «des logements et des droits offerts aux travailleurs migrants. Quand je suis arrivé au Qatar pour la première fois, il y a six ans, certaines choses que j’ai vues m’ont rappelé ma propre enfance. Alors, j’ai dit que ça n’allait pas. Et au même titre que la Suisse il y a des années, le Qatar a fait des progrès.»

Ces progrès, il s’est longuement désolé qu’«aucun média ou presque n’en ait parlé». Et qu’au lieu de cela, l’Europe ait donné «tant de leçons de morale». «Avec ce que l’Europe a fait au monde ces 3000 dernières années, elle devrait commencer par s’excuser pendant 3000 ans avant de donner des leçons à qui que ce soit», a-t-il sermonné. Il a aussi dénoncé les entreprises occidentales qui «font des millions» sur le sol qatari et qui ne demandent pas d’améliorations des droits des travailleurs, parce que cela ne serait pas sans conséquences sur leurs propres performances financières. Et les représentants de gouvernements qui «viennent à Doha depuis que le Qatar a trouvé du gaz» sans se soucier des conditions de travail locales en ont aussi pris pour leur grade.

«Le Qatar donne une chance aux migrants, pas l’Europe»

«Qui se soucie des travailleurs migrants? La FIFA, le football, et soyons clair: le Qatar aussi», a-t-il lancé, rappelant les changements apportés au droit du travail qatari ces dernières années: abolition des principaux aspects problématiques de la kafala, amélioration du salaire minimum, introduction de pauses lors des heures les plus chaudes de la journée…

Il a aussi vanté un Qatar qui «offre des possibilités légales de travailler aux migrants qui le souhaitent», contrairement à une Europe «qui ferme ses frontières» et laisse des milliers de personnes mourir pendant leur périple vers ce qu’ils rêvent comme une vie meilleure. «Si l’Europe se souciait vraiment du destin des migrants, elle créerait des moyens pour qu’une petite partie d’entre eux au moins aient une chance de venir travailler de manière légale sur son territoire», a-t-il déclaré, ajoutant: «[Ces critiques] sont juste de l’hypocrisie.»

Après plus de quarante minutes de monologue sur le sujet des travailleurs migrants et des critiques formulées par le monde occidental, Gianni Infantino a passé en revue les autres sujets qui accompagnent l’approche de cette Coupe du monde: droits des personnes de la communauté LGBT, accès à l’alcool… Son message général: ce n’est pas en critiquant, voire «en insultant», qu’on avance, mais par «l’engagement», «le dialogue». «La FIFA n’est pas les Nations Unies. Ce n’est pas la police mondiale. Pas les casques bleus. La seule arme dont nous disposons est celle-ci. Le ballon. Et avec ça, nous essayons d’expliquer, d’impliquer et d’obtenir des résultats», a-t-il plaidé.

Avant d’ouvrir la séquence des questions à des journalistes interloqués par ce qu’ils venaient d’entendre, Gianni Infantino a enfin réitéré son souhait, critiqué en Europe mais soutenu par les confédérations africaine et sud-américaine, que ces prochaines semaines, on puisse «se concentrer sur le football».

Le match d’ouverture de la Coupe du monde opposera dimanche à 17 heures (heure suisse) le Qatar à l’Equateur.

Source : LE TEMPS

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