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Déguerpissements à Abidjan : le cas Gesco, une erreur ! Par Assalé Tiémoko

Face à l’émoi et aux réprobations consécutifs aux opérations de déguerpissement des quartiers précaires et à risques menées depuis la fin janvier 2024 par le District autonome d’Abidjan, notamment au quartier Gesco dans la commune de Yopougon (entrée nord d’Abidjan), le journaliste d’investigation et député ivoirien, Assalé Tiémoko Antoine, a mené des investigations dont il a livré les résultats sur ses réseaux sociaux.

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Ci-dessous l’intégralité de son texte.

DEGUERPISSEMENTS À ABIDJAN : LE CAS GESCO, UNE ERREUR !

Le District Autonome d’Abidjan, dirigé depuis le mois de décembre 2023 par le ministre gouverneur Cissé Bacongo, a lancé un vaste programme de déguerpissements de plusieurs quartiers jugés précaires ou à risques, en prévision de la future saison des pluies.

S’il y a, dans cette opération, des zones dont le déguerpissement participe d’une action de salut public et de préservation de la vie humaine, le cas Gesco, soulève de graves interrogations quant à sa régularité au regard de la loi.

Petit récit d’une enquête terrain…

ÉMOI NATIONAL.

Le samedi 24 février 2024, devant l’émotion et les communiqués contradictoires, je me suis rendu au quartier Gesco de Yopougon, sur le site déguerpi où j’ai pu rencontrer et écouté de nombreuses victimes plongées dans un immense désarroi.

Par la suite, j’ai échangé au téléphone avec le Gouverneur Bacongo, puis avec une autorité municipale de Yopougon, puis avec le Député Dia Houphouët de Yopougon.

Poursuivant la recherche de la vérité, le lundi 26 février, je me suis rendu au Ministère de l’Education Nationale où j’ai été reçu par le directeur de Cabinet, en présence de l’Inspecteur général.

Du ministère de l’Education nationale, je me suis rendu à la mairie de Koumassi où j’ai été reçu par le Ministre Gouverneur Cissé Bacongo qui y occupe un bureau provisoire en attendant la fin des travaux d’aménagement en cours au District Autonome.

Enfin, j’ai échangé avec un responsable du ministère de la Construction, sur les raisons de la délivrance de titres de propriété privée, sur un site présumé appartenir à l’Etat ou un site à risques pour la vie de ses occupants.

A la suite de toutes les rencontres et des échanges, des questions posées par mes soins aux uns et aux autres, je suis en mesure de dire aux Ivoiriens, ce qui suit.

COMMUNICATION AU-DESSOUS DE LA RÉALITÉ

Depuis le 20 février, la communication du District d’Abidjan, a été pour le moins improbable, ce qui a alimenté des rumeurs et des fantasmes sur les réseaux sociaux avec des témoignages d’une complexité laborieuse balancés par de prétendus sachants.

C’est d’abord le 1er vice-président qui, sur le plateau du journal de 20 heures, a déclaré que les personnes déguerpies à Gesco, y compris le fondateur de l’école Cha Hélène, étaient toutes installées sur le domaine public, qu’il leur avait été distribué des mises en demeure avant de passer aux casses, que l’école cassée n’était qu’une annexe d’une école principale, que le District avait pris toutes les dispositions nécessaires pour recaser les élèves jetés à la rue, avant de procéder aux casses.

Par la suite, c’est le gouverneur en personne qui, se fondant sur les informations de ses services puis sur les déclarations du 1er vice-président, a précisé qu’il s’agissait d’une école annexe de trois classes.

Enfin, le service de communication a prétendu que le District avait délivré des mises en demeure en 2018, en 2021 et le 25 janvier 2024, au fondateur de l’école et, poussant le dévouement à fond, a, courageusement partagé sur la page Facebook du District, la vidéo abracadabrantesque d’une jeune fille qui a affirmé des choses qui n’honorent pas le sérieux qu’on est en droit d’attendre du service de communication d’une telle institution.

LA VÉRITÉ N’EST BELLE QUE LORSQU’ELLE EST NUE…

Les personnes déguerpies n’étaient pas installées sur le domaine public. Si les services du District Autonome avaient contacté le ministère de la Construction et s’ils avaient pris le soin d’aller à la rencontre des victimes pour leur servir des mises en demeure dans les règles de l’art, comme cela a été prétendu, ils se seraient aperçus de cette réalité.

Le site déguerpi est bien une partie du lotissement approuvé par Arrêté ministériel numéro 02855 du 30 juillet 2002, portant approbation “du Plan de Restructuration du Quartier Gesco”, signé par le ministre de la Construction et de l’Urbanisme de l’époque, Assoa Adou.

Ce lotissement, comprend 171 Îlots numérotés de 01 à 84 et de 86 à 172 et, la brigade de gendarmerie de Gesco est installée sur ce site.

N’ayant pas pris la précaution de faire les vérifications nécessaires, les services du District se sont installés dans des erreurs d’appréciations qui ont conduit à cette terrible situation.

CONFUSION SCOLAIRE

L’Ecole détruite n’est pas l’annexe d’une école principale ou école mère et cette école a été construite sur deux lots du lotissement “Gesco Restructuration” et dont l’un, le No 261 de l’îlot 35 d’une superficie de 560 M2, fait l’objet d’un dossier de demande d’ACD suivant le reçu No 2017012600047 de l’Ordre de Recettes des Droits Domaniaux délivré par le Service du Guichet Unique du Foncier et de l’Habitat du ministère de la Construction.

Depuis 2017 et suivant enregistrement de ce lot au Cadastre, Abe Okpo Severin, le Fondateur de l’école détruite, paye l’impôt foncier sur cette parcelle. Cela est vérifiable à partir de l’Attestation de Régularité de Situation Fiscale à lui délivrée par le Centre des Impôts de Yopougon 1 et 2 en date du 11 janvier 2021.

Abe Okpo Séverin, le propriétaire de ces lots est le Fondateur de deux établissements scolaires.

Le premier, appelé “Groupe scolaire Sainte Hélène”, est un établissement d’enseignement technique et professionnel.

Il a ouvert ses portes suivant la Décision ministérielle d’ouverture No 2011-1153 en date du 29 décembre 2011 sous la signature du ministre Albert Flindé.

Cet établissement dépend du ministère de l’enseignement technique et de la formation professionnelle.

Le deuxième, appelé “Groupe Scolaire Cha Hélène”, est un établissement d’enseignement général. Il comprend une branche primaire de CP1 à CM2 et une branche secondaire de la 6ème à la Terminale.

Le 1er cycle du secondaire a débuté ses activités suivant la Décision d’ouverture No 1392 du 3 juillet 2012.

L’école primaire a ouvert ses portes suivant la Décision d’ouverture No 3257 du 18 juin 2018.

Le 2nd cycle a ouvert ses portes suivant la Décision d’ouverture No 3895 du 21 juin 2019.

Ces trois Décisions ministérielles d’ouverture ont été signées par Mme Kandia Camara, alors ministre de l’Education nationale et la décision d’homologation du second cycle pour l’affectation des élèves de seconde a été signée par la Ministre Mariatou Koné sous le No 3895 en date du 21 juin 2021.

Il s’agit donc de deux établissements totalement différents, relevant de deux ministères différents. Il n’y a, par conséquent, aucune annexe.

L’école détruite, riche de 1880 élèves dont 962 affectés de l’Etat est le Groupe Scolaire Cha Hélène et il s’agit bien d’une école d’enseignement général et une école d’enseignement général ne peut pas être l’annexe d’une école d’enseignement technique et professionnel.

Le District Autonome n’avait donc pas la bonne information au sujet de cette école. Et cette grave méprise, à elle-seule, remet en cause, toutes les déclarations qui ont été faites par la suite, la main sur le cœur, par les services du District.

VOUS CASSEZ ? ET MON ACD ?

En affirmant que les personnes dont les maisons ont été violemment rasées, y compris l’école, étaient installées sur le domaine public, le District entendait leur dénier tous droits à posséder des titres de propriétés sur le site.

En effet, on ne délivre pas de titres de propriété privée, sur le domaine public ou sur un site déclaré à risque.

Interrogé par mes soins sur la question, un responsable du ministère de la Construction, sous anonymat, a précisé qu’il “ne s’agit point d’un domaine public ni d’un site à risque, en tout cas pas à ma connaissance. Cette zone de Gesco a fait l’objet d’un lotissement approuvé depuis 2002 et les titres de propriété privée détenus par des personnes là-bas sont réguliers. Il y a eu manifestement un problème de communication, les choses sont allées trop vite.” A-t-il conclu.

Les maisons de particuliers ont donc été détruites alors qu’ils détiennent pour certains, des “Arrêtés de Concession Définitive” qui sont censés les protéger contre toutes destructions sans dédommagement préalable, alors qu’aucun parmi eux, contrairement aux rumeurs distillées, n’a été ni informé du déguerpissement, ni dédommagé préalablement. Si les ACD ne protègent plus personne contre les atteintes à la propriété, où allons-nous ?

NOTIFIÉ DEPUIS 2018 ?

Dans un communiqué, le service de communication du District a précisé que le Fondateur de l’école cassée avait reçu plusieurs mises en demeure, dont une en 2018, une autre en 2021 et une dernière le 25 janvier 2024.

Les deux premières, si elles ont existé, ce que nie fermement le Fondateur, n’émanent pas du District, mais, finalement et selon le District, du ministère de l’Equipement et des Routes. Sauf qu’il n’a pas été retrouvé de décharges à ce sujet, portant la signature et les cachets de la direction de l’établissement.

Quant à la dernière mise en demeure, celle que le District prétend avoir servi le 25 janvier 2024, elle ne porte aucune information de nature à identifier une réception effective de la direction de l’établissement. Pas de signature, pas de cachet.

AU MINISTÈRE DE L’EDUCATION…

Pourquoi le ministère de l’Education nationale a laissé détruire une école où se trouvent près de 1000 élèves affectés par l’Etat en pleine année scolaire ? A cette interrogation, le Directeur de Cabinet a répondu que “sauf erreur de notre part, le ministère n’a pas reçu, une information annonçant la destruction de l’école, à la date du 25 janvier. Quant aux mises en demeure qui auraient été servies en 2018 et 2021, nous ne pouvons pas les confirmer car, nous ne sommes arrivés qu’en 2021. Autrement le Ministère n’aurait pas continué à y affecter des élèves. L’école ayant été cassée, nous attendons les rapports et simulations définitifs de nos services sur le terrain aux fins de prendre des dispositions urgentes pour sauver l’année scolaire de ses enfants”. A-t-il déclaré.

AVEC LE GOUVERNEUR DU DISTRICT.

Le gouverneur du District, le ministre Cissé Bacongo, en présence de son 1er vice-président et des responsables du District, m’a accordé un échange de plus d’une heure de temps. Il est apparu au cours de cet échange que des erreurs ont été commises, notamment dans la collecte des informations sur le site.

Selon les informations données au gouverneur par ses services, le site serait un domaine public, non loti, non approuvé, personne n’y détiendrait un titre de propriété, le Fondateur de l’école ne détiendrait qu’une attestation villageoise, l’école ne serait qu’une annexe de trois classes et son autorisation d’ouverture serait sujette à caution.

J’ai donc remis au Gouverneur toute la documentation officielle qui contredit toutes ces informations. Les autorisations ministérielles signées par les ministres Albert Flindé, Kandia Camara, l’arrêté d’approbation du lotissement et une copie des ACD délivrés par le ministère de la Construction sur ledit lotissement.

Le Gouverneur a fait des copies des documents, les a analysés attentivement et, a déclaré : “Il y a, à l’évidence un arrêté d’approbation et des ACD et nous n’avons pas la qualité pour déclarer ces documents, faux. Il y a une jurisprudence du Conseil d’Etat qui dispose que même l’annulation de l’arrêté d’approbation d’un lotissement n’emporte pas annulation des ACD délivrés sur la base de cet arrêté d’approbation. Ma volonté est d’offrir à la ville d’Abidjan, notamment en ces entrées, un paysage reluisant. Au-delà, prendre des dispositions pour sauver des vies avant la saison des pluies qui arrive, en sortant les populations des quartiers insalubres et dangereux. C’est un défi que nous devons absolument relever, Il faut que je réussisse cette mission. Pour Gesco, de bonne foi, nous allons regarder de près, le dossier.” Fin des rumeurs.

BONNES DISPOSITIONS D’ESPRIT.

Dans la soirée de ce lundi 26 février, des discussions ont été ouvertes entre le District et le Fondateur de l’école détruite, en vue de trouver des solutions urgentes, notamment pour les élèves et le personnel. Il faut encourager le District dans cette voie et à prendre en compte les autres victimes en possession de documents de propriété définitive.

De son côté, la Mairie de Yopougon procède au recensement des victimes en vue de proposer des solutions.

Il faut espérer que les deux entités travaillent en synergie pour aboutir à des réparations au bénéfice des victimes en possession des documents de propriété délivrés par l’Etat de Côte d’Ivoire.

Ce mardi 27 février, une rencontre entre la Primature et le District se tiendra sur le sujet des déguerpissements. D’autres solutions pourraient être envisagées.

Les opérations de déguerpissement, au vue des drames qui pourraient survenir encore pendant la saison des pluies, semblent nécessaires voire impérieuses.

Entre 2002 et 2023, plus de 200 personnes ont perdu la vie dans les quartiers précaires pendant les saisons de pluie. L’Etat de Côte d’Ivoire, sauf à accepter d’être accusé d’irresponsabilité et de l’infraction de “non-assistance à personnes en danger”, ne peut pas continuer à fermer les yeux sur cette situation.

Mais ces opérations doivent se dérouler dans le respect des procédures et de la dignité des personnes impactées.

ASSALE TIEMOKO

Journaliste

Député de la Nation

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